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Les dépossédés - Ursula K. Le Guin


Les dépossédés - Ursula K. Le Guin

Robert Laffont (Ailleurs et Demain) // 2022 (vo 1975) // 408p

Je poursuis donc ma découverte de l’œuvre d'Ursula Le Guin, et après deux excellents premiers contacts en roman avec La Main Gauche de la nuit et en nouvelles avec le recueil Les Voltigeurs de Gy c'est de nouveau une réussite. Et même une grosse claque tant Le Guin livre un roman magistrale avec Les Dépossédés, un chef d’œuvre d'intelligence et de réflexion.

Il y a 200 ans environ la révolution Odonienne a vu une partie de la population d’Uras partir fonder sur la lune Annares une société anarchiste, libre et révolutionnaire fondé sur l’entraide, le partage et l’absence totale de propriété privée.
Quand notre histoire commence, on fait la connaissance de Shevek, un physicien Annaresti de talent dont les travaux pourraient changer les mondes et qui s’apprêtent à aller sur Uras, fait inédit depuis la fondation de la société Odonienne.
Comment cet homme qui a vécu toute sa vie dans un monde libre et solidaire va-t-il réagir et s’adapter à la société ultra capitaliste qu’il s’apprête à découvrir dans la nation d’A-Io.
En parallèle de ce voyage, on fera aussi la connaissance du passé de Shevek, de sa vie sur Anarres jusqu’à ce point, découvrant ainsi en miroir inversé cette société utopique construite par Le Guin.

*  *  *

Avec le talent qui la caractérise, Le Guin va ainsi nous offrir la découverte de ces deux sociétés que tout oppose. D’une part Uras, décrite comme l’enfer, la terre des propriétaire, par des Annaresti qui n’y ont jamais mis les pieds, et d’autre part donc Annarres, une société égalitaire sans propriétaire ni possession, ou la solidarité et l’entraide prime mais où la vie est difficile, la faute à une planète aride et peu hospitalière sujette aux sécheresse et à une faible diversité écologique.

L’écriture et l’imagination de Le Guin sont précises, et comme c’était le cas pour La Main Gauche de la Nuit, elle arrive à rendre tangible, réel et cohérente les sociétés qu’elle crée.
L’opposition entre les deux planète ne laisse aucun doute sur le parti pris de Le Guin. On a d’un côté le capitalisme chatoyant, clinquant et à première vue riche de promesses mais qui cache une misère endémique, une censure et un autoritarisme d’une grande violence.
De l’autre Anarres ou chacun.e à accès à ce dont tel a besoin, ou les distinctions ne se font pas entre les genres, ou l’homosexualité ou la bisexualité sont normales (et on est en 1974 hein).
Mais Le Guin est très loin de verser dans le manichéisme ou la complaisance puisque le parcours de Shevek est l’occasion d’explorer justement les limites de cette utopie anarchiste.
 

Car si la possession n’existe pas, si l’individualisme n’est pas de mise, on se heurte parfois violemment à une négation de l’individualité. Et s’il n’y a pas d’état, pas de réel pouvoir central ou de loi, il reste la force de l’habitude, la puissance écrasante de la bureaucratie, et la combinaison des deux, quand elle entre en contact avec des être hors norme, comme Shevek qui veulent voir plus loin que les habitudes, peut se muer en une force aliénante et destructrice.
Le Guin pousse loin ses reflexions, elle aborde tous les aspects de la société, du travail au loisir en passant par la sexualité ou les structures familiales et avec une intelligence qui laisse ses contemporains loin derrière elle.

Mais le plus fort avec tout ça, c’est que Le Guin n’oublie jamais qu’elle n’est pas là pour nous offrir un manifeste politique ou un essai mais bien un roman. Et si celui-ci fait la part belle à la réflexion, il propose aussi une aventure.


Une aventure humaine, riche en expérience et en découverte, foisonnant d’émotions, de joie et de drames, une aventure touchante qui bouscule, un voyage transformateur qui bouleverse, et l’ensemble mis bout à bout en fait un réel chef d’oeuvre. 

D'autres avis : BaroonaNebal, Vert


Commentaires

  1. C'est peut-être ça le meilleur ou le plus respectable chez Le Guin, cette volonté d'aller chercher les limites des modèles qui semblent souhaitables/préférables. De l'honnêteté intellectuelle en somme. Vive Le Guin !

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    1. Tout à fait, elle explore son idée jusqu'au bout, sans concession et avec lucidité !

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  2. Quel livre ! Je m'étonne toujours de voir à quel point j'y repense de temps en temps, et je l'ai lu il y a plus de 10 ans. J'espère arriver à le relire prochainement.

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