Les royaumes immobiles, 1 : La princesse sans visage - Ariel Holz

Lolita - Vladimir Nabokov


Lolita - Vladimir Nabokov
Folio // 2005 (1955) // 532p

Qu'est-ce que ça vous évoque "Lolita" ? 

A une époque, quand j'entendais ce nom, je pensais aguicheuse, provocatrice, délurée, et tout ça accolée à des jeunes filles, des ados. Du roman de Nabokov que je ne connaissais pas vraiment, j'avais l'idée d'une histoire complaisante de pédophilie qui mettrait en scène ce genre de personnage.
J'avais tort.
Il y a peu, je suis tombé sur cette archive de l'INA ou Nabokov remet Bernard Pivot à sa place et clarifie son propos. Il se désole aussi de la manière dont le public a perverti l'image de Lolita, en a fait un jeune fille perverse et manipulatrice là où elle n'est pour lui qu'une enfant victime.

Mais de quoi ça parle Lolita ?

Dolorès "Lolita" Haze est une américaine de douze an pour qui Humbert Humbert, un pédophile européen d'une bonne 40aine d'année, va développer une obsession malsaine.
Par un concours de circonstance, dont le décès accidentel de la mère de Lolita, il va se retrouver tuteur de l'enfant et va l'isoler de ses proches durant de long mois pour abuser d'elle en tout impunité.
Durant 500 pages, Nabokov nous propose de passer du temps dans la tête d'Humbert Humbert (HH) depuis son enfance jusqu'à l'acte qui le conduira derrière les barreaux.
Le roman est raconté du point de vue d'HH, à la manière d'une confession, alors que celui-ci croupis en prison. Et donc durant 500 longues, voir très longues pages, nous avons un vieux mec blanc pédocriminel qui va tenter de justifier son comportement, essayer de se faire passer pour un bel érudit victime des circonstances, nous détailler l'amour obsessionnel qu'il pense éprouver pour Lolita en particulier et les "nymphettes" (de très jeunes filles qu'il sexualise à outrance) en général. Il va aussi nous dépeindre Lolita comme une enfant manipulatrice mais parfois, dans un éclair de lucidité reconnaitre à demi mot le mal qu'il lui a fait.

Une lecture pénible

Bon soyons clair, j'ai franchement détesté ce livre, mais pas pour les raisons qu'on pourrait croire, et il m'a été très très pénible à lire.
Pour peu que l'on soit attentif, il ne peut y avoir d’ambiguïté. HH est un pédocriminel, il manipule Lolita, profite de sa jeunesse, voir de sa naïveté, exploite (ce que l'on pourrait qualifier de "crush d'ado") l’intérêt que lui porte l'enfant, et la viole longuement et à de multiple reprise laissant au final une jeune fille traumatisée dont le compas moral finit passablement dérangé...
Le propos du livre concernant HH est univoque, celui-ci est un manipulateur dangereux, un narrateur non fiable dont il faut se méfier de chaque mot posé sur la page, on ne peut lui faire confiance et à ce titre certaines descriptions de ses moments d'intimité avec Lolita sont impérativement à contextualiser.
S'il y a une chose avec laquelle je suis d'accord, c'est qu'il me parait important que la littérature s'attache à dépeindre des personnages détestable, mauvais, et à le faire bien. Il y a un enjeux fort dans le fait de montrer que le mal n'est pas aussi clair, que les être humains sont complexes, animés de vastes et nombreuses motivation et surtout que les monstres n'existent pas.
Parler de monstre, assimiler les actes délictueux, criminels et horribles au seuls fait de monstres c'est fermer les yeux sur le fait que c'est la société qui produit ces individus. Ne pas reconnaître leur humanité c'est nier notre responsabilité collective à faire en sorte que nos sociétés mettent en place les conditions pour que ces actes n'arrivent pas. Dire que quelque chose est monstrueux, c'est renoncer à changer le monde, c'est la plus lâche des excuses.
Et en ça, ce livre est une réussite, puisque HH nous est dépeint avec complexité, il n'est pas un monstre, c'est un être humain qui a un problème et qui bénéficie d'un contexte propice, d'une éducation favorable, et finalement de la complaisance de beaucoup de monde.
Pourquoi est-ce que j'ai détesté cette lecture alors ?
Déjà, c'est long, très long, voir chiant, le style est loin d'être marquant et les atermoiement d'HH ne sont pas vraiment les choses les plus agréables à supporter. Ensuite, et malgré le talent de l'auteur pour décrire un personnage complexe, à aucun moment on ne peut ressentir de sympahie pour HH, et étant le seul point de vue sur l'histoire il est difficile alors de maintenir son interet en dehors d'un désir voyeuriste de savoir comment cela va finir.
Ensuite, ce roman apparaît comme relativement vain au vu de ce qu'il en reste et de l'image négative de la Lolita qui reste auprès du grand public.

De la réception de l'oeuvre

Une chose m'interroge beaucoup, c'est la reception de cette œuvre et la vision déformée de ce que la Lolita ou la nymphette représente dans l'imaginaire collectif.
Nabokov est clair dans son interview, et comme on l'a vu, il ne peut y avoir d'ambiguité sur son propos. Pourtant nombreuses sont les personnes à voir Lolita comme perverse, comme en partie responsable de ce qui lui arrive.
On se souviendra aussi de la « mode des lolita » au début des année 2000... Britney Spears, Alizée, Christina Aguilera, etc. Que des jeunes filles sexualisé par les leur prod et par les media et de manière franchement écoeurante.
Du coup voilà, on se retrouve avec cette idée que Lolita l'a bien cherché, qu'elle provoque et que c'est un peu normal si un vieux mec de 40 ans ai envie de la baiser...
On pourrait évoquer les visuels de couverture qui présente souvent des filles plus agées que celle du roman et avec des angles sensuels, parfois des poses sexualisés. Peut être que cela contribue à fixer une certaine image auprès du public, mais si ces visuels sont là, ils sont le fruit de choix editoriaux et donc d'une vision de l'oeuvre déjà ancrée dans ceux qui font ces choix.
Il y a le film de Stanley Kubrick peut-être. Si Nabokov est crédité au scénario, il ne reste en réalité quasiment rien de son travail dessus et le film semble prendre des liberté avec le livre et présenter une relation beaucoup plus sensuelle, édulcorant les manipulations et viol d'HH. (Je n'ai pas encore trouvé le courage de voir le film...)

De la culture du viol et de la culpabilisation des victimes

J'ai commencé à lire quasiment au même moment que Lolita, Une Culture du Viol à la Française de Valérie Rey-Robert, une lecture qui par bien des aspects peut être extrèmement éclairante sur la réception de Lolita par le public.
On pourrait se poser mille question sur pourquoi beaucoup de personnes continuent de culpabiliser Lolita, sur la faute des représentations, mais la réponse apparaît très clairement.
Nous vivons tout simplement dans une société où il est accepté de rendre responsable les victimes de ce qui leur arrivent. Le nombre de violeur condamné avoisine les 1%, les idées reçus sur le viol parasitent le crédit qu'on accorde aux victimes, et même actuellement, on continue de considérer qu'une jeune fille de 11 ans peut donner un consentement éclairé auprès d'un adulte de 28 ans..
On ne croit pas les femmes, on ne croit pas les enfants, on continue de considérer ces dernières comme des manipulatrices, et partant de là, on est fatalement conditionné à excuser voir romantiser le comportement d'HH et à blâmer Lolita pour des comportements dont elle n'a pas conscience de la portée. On pourra rappeler la toute récente médiatisation de l'affaire Matzneff où tout un aréopage de ses pairs continue d'excuser et de justifier ses viols et manipulation sur une enfant de 14 ans !

Un livre vain.

Je l'ai dit, cette lecture m'apparait comme extrêmement vaine.
Dans une société où la parole est plus souvent donnés aux agresseurs qu'aux victimes, a-t-on besoin encore de lire le récit d'un prédateur de cette manière ?
Alors que des Matzneff sont impunis, que des DSK prospèrent, qu'en tant que société nous ignorons la majorité des victimes de viols et violences sexuelles, est-il utile de lire le réçit romancé d'un homme qui leur est si semblable, blanc, aisé, éduqué, manipulateur, violeur et impuni ?
Bien sûr qu'il nous faut des histoires qui mettent en scène le mal, bien sûr qu'il faut que ces histoires soient profondes, nuancée, voir même ambiguë. Mais il est aussi et surtout primordial de donner la voix aux victimes, d'être clair sur les dégâts infligés, d'être sans complaisance avec ces hommes et surtout, surtout, il est indispensable de montrer des histoires de résilience.
J'ai la conviction profonde que la littérature peut être un formidable moteur de changement par la force de ses représentations et Lolita, malgré l'intention de son auteur, malgré parfois la finesse d'écriture tombe dans l'écueil de sortir dans une société qui ne pouvait que pervertir son propos.
Le roman n'est pas mauvais en soi, il est juste, perspicace, clair, mais la focale choisi ne pouvait que le desservir. Au final, la postérité ne retient que l'histoire d'amour sulfureuse entre une jeune adolescente et un adulte là où il n'y a que la prédation et le viol, et elle ne s'en inquiète pas.


Commentaires

  1. J'avais lu L'Enchanteur, du même auteur, qui était plus ou moins le brouillon de Lolita. Même sujet, mais livre beaucoup plus court (et peut-être un peu plus digeste, du coup), mais pareil, même si je comprenais le propos, ce n'était pas une lecture plaisante, et j'ai peiné à arriver au bout. Je pense que c'est beaucoup trop centré sur ces personnages, et qu'il faudrait que ça soit un morceau de l'histoire, et pas exclusivement ça, pour que ça soit plus digeste.
    Bref je comprends ton propos, et ça continue de me confirmer que je ne veux pas lire Lolita, même si j'en vois l'intérêt. :)

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    1. Je pense qu'un élargissement des points de vue aurait profité au livre. Je comprends ce qu'a voulu faire l'auteur mais ouais, j'adhère pas trop :-/
      Et oui, pas la peine de te l'infliger du coup ^^

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  2. Très belle chronique et remise en perspective dans le contexte actuel. J'avais trouvé la lecture assez désagréable également.

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  3. C'est assez marrant, la première fois que j'ai lu l'oeuvre, je l'avais détestée et je trouvais le personnage de Lolita extrêmement insupportable, un peu comme si elle ne savait pas ce qu'elle voulait (je remets le contexte, j'avais 12 ans et je ne savais pas du tout de quoi parlait ce livre, donc la 1e vue du personnage était pour moi "la réalité")
    C'est seulement quand je l'ai étudié à la FAC que je me suis prise une grosse claque. Déjà, j'ai dû le relire, et mon regard n'était plus celui de la gamine naïve de la vie, mais en plus d'étudier tous les procédés qu'il y a derrière... wouah.
    Je ne vais pas mentir, l'auteur a extrêmement bien réussi son travail, si aujourd'hui les gens pensent encore que Lolita est finalement le problème, c'est parce qu'il a tellement bien écrit le point de vue de HH que certaines personnes ne font pas la différence entre cela et la réalité (dont moi, gamine de 12 ans qui tombe sur ce livre par hasard).
    Mais je suis assez partagée, déjà je suis d'accord avec toi sur ce qu'il est resté de l'oeuvre dans l'imaginaire des gens (bien que, pour la défense de l'auteur, je pense qu'on ne peut pas réellement prévoir la réception de son oeuvre) mais pour l'avoir étudié 6 mois, je trouve ça dur de dire qu'il est "vain" (ne serait-ce que littérairement parlant), je pense surtout que l'on devrait l'aborder tel qu'il est "HH est un pédophile, voici SA réalité. Rappelez vous-en quand il dira qu'elle pleure de joie, car ceci est son interprétation des larmes de Lolita, pas la réalité."
    Parce que malheureusement, c'est le problème que j'ai eu à ma première lecture, je ne savais pas vraiment ce que je lisais. Et je pense que pas mal d'adultes ne sont pas spécialement avertis car on n'a pas forcément tous les mêmes connaissances et la même culture.
    Bref je m'éloigne, très très bon article, je comprends tout à fait ton ressenti vis-à-vis de ce livre, je ne sais pas si le problème de ce livre est son existence ou sa notoriété, mais personnellement j'aime ce livre, mais c'est peut-être parce que je l'ai beaucoup détesté avant de le redécouvrir.

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    1. Merci pour ton commentaire ! :)
      Je pense pas que le livre soit vraiment le problème en soit, on écrit ce qu'on veut clairement et après chacun interprète.
      Je trouve ça vain dans le sens où encore on donne la parole et le point de vue d'une crevure et on en a suffisament, je le trouve vain vu le contexte.
      Et je trouve que ce qui est très problématique c'est la notoriété basé sur des idées fausse liées à ce contexte qui est le gros problème :)
      Mais clairement ce livre n'est pas à mettre entre toute les mains je pense, pas trop jeune, ou pas sans accompagnement, discussion.

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    2. Oui et bien je te rejoins totalement la-dessus, si je ne l'avais jamais étudié, il est fort probable que l'image de Lolita soit restée celle que j'avais quand je l'ai lu la première fois (et donc, totalement erronée), et je pense que sa notoriété lui fait défaut, car évidemment, si on veut lire du Nabokov, Mr/Mme tout le monde se jettera sur Lolita au lieu d'autres oeuvres parce que... benh c'est le plus connu :/

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