Abécédaire de l'imaginaire - Arborescences

Vox - Christina Dalcher


Vox - Christina Dalcher
Editions Nil // 2019 (2018) // 432 pages
Livre audiolu en partenariat avec Audible

Vox, la dystopie qui va vous laisser sans voix

Futur proche, très proche, l'année prochaine, voir celle d'après suppose-t-on, des fondamentalistes chrétien sont arrivés au pouvoir et en à peine un an on lancés une série de mesure drastique à l'encontre des droits des femmes.
Suppression des passeports, interdiction de travailler, interdiction d'avorter, interdiction d'avoir des relations sexuelles hors mariage, ségrégation genré dans les écoles, et puis surtout limitation de la parole.

Cette dernière mesure qui est au centre du roman est réalisée à l'aide du port d'un bracelet envoyant des décharges électrique quand le quota de 100 mots par jours est dépassé. A chaque incartade, la puissance de la décharge augmente, allant de désagréable à totalement débilitant voir mortel.
C'est dans ce contexte que l'on va suivre le Docteur Jean McClellan, socio-linguiste devenue par la force des choses femme au foyer muselée. Jusqu'au jour où ses compétences dans le domaine de la recherche sur l'aphasie de Wernicke vont être requisent par le président lui-même

Le poids des mots
La première partie du roman alterne entre le présent avec le quotidien bien morose de et silencieux de Jean et des flashback sur avant et notamment son passé d'étudiante bourgeoise privilégiée et peu au fait des problématique féministes, source de conflit avec sa coloc et amie Jacky, une femme noire lesbienne, féministe engagée qui correspond un peu trop au stéréotype de la féministe négligée et de la "Angry black woman"... (premier problème d'une longue liste...).

Clairement, le début du roman choc. Avec ce contexte ignoble de ségrégation, ce fondamentalisme religieux poussé à son paroxysme, on enrage, beaucoup, énormément. On voudrait foutre un grand coup de pompe dans le cul de ce gouvernement totalitaire et passé tout ça au napalm.

Le problème, c'est qu'avec ce contexte outrancier d'une injustice flagrante, on ne peut rester indifférent et il est difficile de garder la tête froide. On est ainsi pris aux tripes par les premières pages. Malheureusement, quand l'intrigue démarre véritablement, et à mesure que le roman dévoile le pourquoi du comment, la suspension d'incrédulité s'effrite.

Il est difficile de trouver crédible des changements aussi drastiques et rapide dans une amérique post #MeToo, et là ou la marche des femmes à eue lieu et a rassemblée autant de monde, femmes ET hommes. La proximité temporelle vraiment trop importance nuit ainsi grandement à la vraisemblance du postulat de base. Et quand des références à la X-Box et à Pokemon Go sont balancées, impossible de trouver cet univers dystopique réaliste.

Et plus on découvre la manière dont ce monde fonctionne plus la cohérence s'effrite. Les femmes n'ont plus le droit de travailler, mais alors qu'en est-il de tous les postes et fonctions actuelles, tous les domaines dit du "care" où elles sont majoritaire par exemple. Hopitaux, maisons de retraite...
Des camps de travail sont ouvert pour les éléments les plus réfractaires et fournissent de la main d’œuvre gratuite pour le travail agricole, ou d'usine mais cela ne remplace pas les postes vacants...
Pour info, 74 millions de femmes travaillent aux USA, soit 47% de la force de travail

Et quid des révoltes ? des sabotages ?  Une résistance est évoqué à un moment, mais la piste est peu poussé, on a juste l'impression de 3 gus dans une grange... Et qu'en est-il des réactions de la communauté internationale ?
Bref, ça manque cruellement de construction, et ça pourrait ne pas être un problème si le contexte n'était pas si proche et si tangible.

Trouver sa voi(e)(x), se perdre en chemin
Second soucis du roman et d'importance, la platitude des personnages. Que ce soit l'héroïne Jean, passive et presque sans caractérisation ou bien son mari sans consistance, ou même les personnages secondaire qui se définissent en quelques adjectifs et n'ont aucun intérêt autre que vaguement utilitaire, c'est pauvre, très pauvre, aussi pauvre que le style, aussi pauvre que l'intrigue.

Parlons en de cette intrigue. Si l'on abandonne rapidement l'exploration de la dystopie pour tomber dans le thriller scientifique poussif, ce qui reste finalement ce n'est qu'une banale histoire de romance hétéro adultérine. Et oui, dans un roman qui, on l'espère va nous offrir une critique au vitriole du patriarcat, une dénonciation violente de la domination masculine, on se retrouve finalement avec une femme qui ne supporte plus son mari mou, lâche et passif et qui ne rêve que de son bel amant italien bronzé, fort, viril, qui lui n'hésiterait pas à casser la gueule aux méchants... Vous le voyez le gros soucis ? 

C'est là le plus gros point noir de ce roman, la manière dont il met en scène et reproduit des clichés sexistes et stéréotypés alors qu'il est censé les dénoncer. Parce que si ce point est flagrant et saute aux yeux, c'est régulièrement que l'on peut voir passer des remarques plus subtile du même genre, tout juste si l'on a pas un "boys will be boys" ?!
On remarquera aussi que la plupart des femmes sont relativement passives au sein de l'histoire et qu'à la toute fin le monde est sauvé par un mec, autant pour l'"empowerment". Une fin d'ailleurs qui sombre dans le fouillis le plus total, l'incohérence, la facilité et qui finit d'enterrer le roman.

Moins de 100 mots pour conclure
L'impression qui ressort de cette lecture, c'est que l'autrice à voulu surfer sur le filon de La Servante écarlate. Alors, peut-être dans le but louable de mettre en garde sur la facilité avec laquelle peuvent disparaitre les droit acquis durement par les luttes féministes. 
Pourquoi pas, le problème c'est qu'il ne suffit pas d'une idée de base intéressante pour faire un bon roman et que passé le choc de la description forcément révoltante de cet univers ignoble, le tout retombe comme un soufflet et tous les défauts sautent au visage.
Et c'est franchement dommage car il y avait très certainement matière à produire quelque chose de plus politique, de mieux construit, de moins manichéen et de plus subtile.
Un autre avis
Lune a aimé le livre elle :)

Commentaires

  1. J'avoue l'amant italien je m'en rappelais même pas :')
    Par contre, c'est pareil que dans la série La servante écarlate pour le travail. Et ça ne m'avait pas choquée non plus parce que ça peut aller très très très vite ce genre de choses. Regarde les afghanes... Mais je comprends ton point de vue, le trait est largement forcé.

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    1. Alors moi l'amant italien m'a tellement fait lever les yeux au ciel que j'en voyais l'interieur de mon crâne presque ^^
      ça et les atermoiement de Jean sur sa relation avec lui pffffff.
      Je n'ai pas lu/vu la servante écarlate, mais là, plus que cette histoire de travail, c'est cela coplé à la proximité qui me sort du truc. Je peux pas y croire dans un monde qui joue à Pokemon Go quoi ^^
      Pour la rapidité, he bien... Je suis trop optimiste peut-être mais je pense qu'actuellement on ne laisserait pas ce genre de chose arriver. Enfin, j’espère... :-/

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    2. Je suis quelqu'un d'optimiste mais sur les droits humains on recule tellement chaque jour que pour ma part ça ne me choque pas que ça arrive dans un monde Pokémon Go. Tu sais y a des mômes en centre de rétention même en France, des homos jetés par des fenêtres en Europe, des filles qui perdent le droit d'aller à l'école ailleurs...
      Puis bon j'atteins vite le point Godwin mais la solution finale, qui l'eût cru. Et pourtant ça n'a pris que quelques années.
      Donc bon.
      Reste qu'avec le recul l'histoire de l'amant effectivement c'est cliché (mais ça veut pas dire que ça peut pas arriver.)

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  2. C'est intéressant ce que tu dis, notamment sur la crédibilité du "basculement".
    Tu cites "La servante écarlate" (et le rapprochement est évident, tant on a l'impression de voir une description de l'univers du roman/de la série de Margaret Atwood), et Lune en parle aussi juste au-dessus. Tu as vu la série ? Parce qu'en fait le roman est extrêmement centré sur l'héroïne pour bien faire sentir le sentiment d'enfermement (bien qu'il n'y ait pas vraiment de mention d'une technologie particulièrement futuriste donc on imagine une époque proche) mais la série n'a pas suivi le même chemin et a montré (par flashbacks) ce basculement, qu'on comprend vite comme ayant été fait assez rapidement et à une époque proche de la nôtre. Donc les "problèmes" que tu soulèves sont les mêmes, mais pourtant ils ne m'ont pas choqué. On voit bien avec l'administration Trump que tout peut aller vite.
    Quant au fonctionnement de la société, c'est évidemment incompatible avec ce que décrit "Vox" ou "La servante écarlate", pourtant ça ne me dérange pas, le propos prenant vraiment le pas sur la cohérence des actions ayant mené à ce basculement et le fonctionnement de "l'après".

    Le reste de ce que tu pointes comme étant des défauts me semble par contre plus problématique...

    Je le lirai peut-être pour en avoir le coeur net. ;)

    Bel article en tout cas. ;)

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    1. Je n'ai pas lu la Servante Ecarlate, il faut absolument que je rattrape ça :)
      Ce que tu me dis sur le roman, sur ce sentiment diffus d'être dans un futur proche mais indéterminé m'aurait beaucoup mieux convenu et m'aurait moins gêné je pense. Là c'est c'est vraiment trop présent pour moi et je marche pas du coup. Je pense qu'en film ou série ça passerait peut-être plus facilement, je suis moins sensible à ce genre de détails sur le media audiovisuel.

      Après, il y a la question, est-ce que c'est possible si rapidement ?
      Là c'est pareil, j'y crois pas, mais pour le coup c'est plus parce que quand je vois aujourd'hui les luttes sociales, les réactions, les mouvements, je ne peux pas croire que d'ici la fin de l'année l'IVG par exemple soit interdit aux USA (et c'est peut être un tort justement).
      Pas de manière aussi frontale et directe en tout cas. Oui il y a les baisses de budgets pour les planning familiaux, etc. mais face à ce genre de propositions de lois, il y a encore des garde-fous institutionnels qui fonctionnent.
      En fait c'est parce que je suis optimiste que je n'y crois pas ^^

      Pour le coup pour Vox, le soucis c'est que une fois passé l'exposition, le propos est bancal, du coup ça marche moins bien :-/

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    2. (pardon je reviens poster mais la question me passionne. je pense aussi que ça peut aller super vite. En fait basiquement, il y a deux façons d'en arriver là:
      * soit c'est un basculement progressif de type repli sur soi et sur des valeurs rétrogrades en période de crise comme des reculs qu'on voit à droite à gauche dans certaines états des US, en Espagne, en Pologne sur l'IVG par exemple)(après je suis plus sûre que ce soit au final passé en Espagne et en Pologne) et de chaine en chaine petit à petit la société change. C'est le phénomène de la grenouille dans l'eau chaude.
      * soit un basculement brutal par un coup d'état ou une élection improbable ou falsifiée et là les choses sont capables de changer du jour au lendemain. On parle de l'Afghanistan, mais je pense aussi aux Khmers rouges au Cambodge et ... Hitler. Il était "élu" le 30 janvier 1933. le 20 mars de la même année s'ouvrait le premier camp de concentration. Ce ne sont pas forcément des exemples qui sont spécifiques à la place des femmes dans la société mais je ne pense pas que ça change grand chose. Il faut vraiment se méfier du "oh ça peut pas se passer si vite, les gens vont se rebeller" etc. On voit déjà l'effet qu'a la rébellion de nos jours : aucun mis à part des lois plus coercitives sur les dites rébellions. Quant à la vitesse, à partir du moment où c'est enclenché ça peut aller super vite. Après il y a des signes avant-coureur. On voit ça très bien dans la servante écarlate d'ailleurs ou la mère de l'héroïne allait à des manifs et tout et le développement du lobby des pro-vies avant la prise de pouvoir. Il y a aussi sans doute besoin d'un facteur déstabilisant qui facilite ce genre de choses. Dans La servante c'est le grave problème de fertilité.

      Mais bon le problème a l'air d'être ailleurs dans Vox parce qu'en effet quand un basculement de ce type arrive, cela induit forcément un remaniement important de la façon de fonctionner d'un pays et que si dans ce bouquin c'est juste qu'on interdit aux femmes de parler et de travailler et puis tout le reste se déroule à la cool comme avant, en effet ce n'est pas réaliste.

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  3. Pour répondre à ce qui est dit sur le travail des femmes dans la servante écarlate c'est quand même sérieusement plus réaliste. Je m'explique (par la série je n'ai pas lu le livre):
    * les femmes qui ne travaillent pas sont les femmes des grosses pontes de Gilead. Les martha et les servantes écarlate même ont des activités faire la cuisine faire les courses. On peut imaginer quelque chose comme s,'occuper des gosses aussi. Y a aussi les matrones qui dressent les autres.A voir ce qu'il en est dans le monde tout venant je ne me souviens plus.
    - Ensuite toute l'industrie de divertissement s'est écroulée dans cette société. Pokemon Go dans ce monde ça n'existe plus ou ça s'est barré au Canada. Ça fait sérieusement moins a employer.
    - une bonne partie de la population s'est barrée diminuant ainsi la demande sur de très nombreux emplois.
    Je ne sais pas comment c précisément dans Vox mais dans la servante écarlate ça me paraît totalement réaliste.
    Bon sinon je crois que je vais attendre la sortie poche ou oublier l'existence de ce bouquin parce qu'il y a trop de choses qui me paraissent problématiques dedans. Même si ça fait clairement chier parce que l'idée de départ est passionnante.

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    1. Dommage ça m'aurait intéressée d'avoir ton avis ! Ce bouquin n'est pas parfait, loin de là, mais la thématique m'a beaucoup remuée. Quant à l'histoire de cul, c'est juste la vie hein.

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    2. @Lune Oui c'est la vie mais c'est pas une raison pour faire un truc aussi bateau et cliché vu et revu 1000 fois :p

      @Tigger Lily
      Alors, les femmes font les courses, la bouffe et tout ça. Les actrices ont des dérogations pour jouer dans des films (wtf ?), Et il me semble que les meufs qui adhèrent au parti peuvent donner des cours aux classes de femme (je ne suis plus sûr).

      Pour le basculement, j'entends bien tous ces arguments, mais je reste persuadé que si ça devait arriver, ca n'irait pas sans des émeutes de fou. Et il s'avère qu'il y a quand-même des femmes chez les flics et les militaires par exemple, et j'ai du mal à les voir continuer d'obéir aux ordres dans ces circonstances.
      Mais j'espère qu'on aura pas à vérifier si ça passerait ou pas ^^

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    3. Tu sais pour calmer une émeute c'est facile, tu mets des chars et des fusils d'assaut en face, quelques exécutions sommaires et ça calme vite tout le monde.
      Quant à l'obéissance aux ordres, c'est exactement ce qui s'est passé avec le nazisme. Y a plein de gens qui ont commis des horreurs juste parce qu'ils obéissaient aux ordres. Cf la banalité du mal de Arendt ou l'expérience de Milgram.

      J'hésite vraiment sur le bouquin, ça m'ennuie quand même d'allonger 20 balles pour un livre qui risque de m'énerver. C'est pour ça qu'attendre une sortie poche me semble plus raisonnable. En même temps c'était sensé être ma lecture nouveauté du mois de mai et si je lis pas ça faut que je vois ce que je vais lire à la place XD

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  4. Bon bah comme j'aime pas les gros sabots sur ce genre de thématique je vais passer mon tour ^^

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  5. Ça ne m'arrive pas souvent mais perso j'ai carrément abandonné. J'avais plus l'impression d'être dans un (mauvais) mélo que dans un roman féministe avec un fond et des arguments.

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    1. Ha oui voilà, c'est exactement ça, un mauvais mélo !
      Je l'ai fini parce que c'était en audio et que bon, quand c'est comme ça j'accélère la lecture lol, mais je comprends l'envie de lâcher...

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