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King Kong Théorie - Virginie Despentes

King Kong Théorie - virginie Despentes
King Kong Théorie - Virginie Despentes
Le Livre de poche // 2007(1ere Ed. 2006 ) // 150 pages

Je connaissais de réputation King Kong Théorie pour être un essai féministe assez radical. En dehors de cet ouvrage, le nom de Virginie Despentes m'était relativement inconnu. Avec cet ouvrage un peu à part dans bibliographie, elle n'en est pourtant pas à son coup d’essai puisque sa première publication, le roman "Baise moi", remonte à 1994, et que depuis elle a écrit presque une dizaine de livres, réalisé deux longs métrage et un documentaire.

King Kong Théorie est un mélange entre l'autobiographie et l’essai. Autobiographie puisque Virginie Despentes au fil des différents chapitres nous partage sa vie, ou plutôt des évènements clef de sa vie qui ont contribué à faire d'elle Virginie Despentes. Un essai, puisqu'au travers de ses expériences personnelles et en s'appuyant sur de nombreuses sources – comme on peut le voir dans la très complète bibliographie publiée à la fin du livre – elle propose une analyse pertinente des sujets qu'elle aborde.

"Parce que l'idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme [...]. Je crois bien qu'elle n'existe pas."
Au travers des 150 pages que compte le livre, elle va traiter de la violence des rapports hommes/femmes, de la féminité tel qu'imposé par la société, sans juger celles qui s'y conforment mais en envoyant un grand coup de pied dans le carcan social pour redonner la parole à celles qui ne s'y conforment pas. Elle va parler de son expérience en tant que jeune femme punk, qui cultivait une image androgyne, voir masculine, loin des standards féminins. Et elle va aussi s'adresser aux hommes, à ceux qui ne se reconnaissent pas dans les injonctions mortifères à la virilité et pour qui la masculinité ne passe pas par la toute puissance et l'agressivité.

Et elle fait tout ça avec un style très marquant. Violent, cru, voir trash. Un style oral et franc. Un parlé clair, sans fioritures, sans envolés lyriques. Une analyse loin des discours universitaires abscons qui résonne tout de suite. Elle met les mots qu'il faut, appelant une chatte une chatte et ne se perdant pas dans des métaphores ou des allégories qui pourraient diluer son propos.

3 sujets principaux se détachent clairement, traités chacun dans un chapitre, le viol, la prostitution et la pornographie.

"Parce que les hommes continuent de faire ce que les femmes ont appris à faire pendant des siècles : appeler ça autrement, broder, s'arranger, surtout ne pas utiliser le mot pour décrire ce qu'ils ont fait. [...]
Car les hommes condamnent le viol. Ce qu'ils pratiquent, c'est toujours autre chose." 
 Sur le viol, elle revient longuement sur son expérience, détaille les circonstances, parle de son long déni, de son acceptation, de la manière dont cet évènement l'a marqué, et surtout de l'ambivalence de la société vis à vis de celui-ci. Considéré comme un acte inacceptable, "pire que la mort", la société semble pourtant trouver toutes les excuses possibles à ceux qui les commettent et chercher en permanence à expliquer l'acte par la tenue de la victime, son allure, son comportement...
Et puis on attend aussi des victimes qu'elles se comportent en victime, qu'elles arrêtent de sortir, vivent dans la peur. Ce qu'elle a refusé de faire. 
Si une femme veut profiter du monde comme un homme le peut, le viol est un risque à prendre vu que le monde actuel blâme plus les victimes que les coupables.

"Les prostitués forment l'unique prolétariat dont la condition émeut autant la bourgeoisie. Au point que souvent des femmes qui n'ont jamais manqué de rien sont convaincues de cette évidence : ça ne doit pas être légalisé."
Virginie Despentes s'est prostitué de manière occasionnelle pendant environ 2 ans. Pour l'argent facile, parce qu'elle préférait ça plutôt qu'un boulot de caissière payé comme de la merde. Pour elle, il n'y a pas de différence entre une prolo qui va se crever à l'usine et une pute. Si la société à un problème avec la prostitution, c'est parce que c'est un des rare domaine où les femmes sont en position de domination, de décideuse, et où elles vont gagner plus d'argent que les hommes et mettre en danger le sacro-saint couple marié. On pourrait presque voir dans son discours qu'elle considère cette activité comme l'une des plus émancipatrice pour les femmes. Elle décrit ainsi une vie – que ce soit la sienne ou celle des collègues qu'elle a pu croiser – loin du misérabilisme auquel nous habitue la télé avec ces filles immigrés sous le joug des macs. 

"Ceux qui s'offusquent s'il s'agit d'interdire une caricature religieuse, "Nous ne sommes plus au Moyen Âge, c'est un comble", n'ont plus les idées aussi claires, s'il s'agit de clitoris et de couilles. Étonnants paradoxes du porno."
Vu comme responsable de toutes les violences sexuelles, il agit pourtant comme défouloir. Permet d'assouvir les fantasmes inavoués. D'autant plus inavoué que le porno est refoulé loin de la lumière, dans les tréfonds des cinémas X glauques.
Comme pour la prostitution, pour Virginie Despentes, on en revient au problème de l'argent et du pouvoir conféré aux femmes. C'est pour ça que les actrices porno sont perpétuellement rabaissées, ramenées à leur condition de pornstar, même si elles ont arrêté depuis longtemps.
Elle profite de ce chapitre pour élargir le sujet au désir, masculin et féminin à sa différence de traitements et aux attentes de la société.

Ce qui est marquant dans le discours de Virginie Despentes c'est sa capacité à ramener tous ces sujets au domaine politique, à la lutte des classes et au capitalisme. La violence dominatrice du capitalisme s'exerce dans le viol, son traitement sociétal permet de garder le pouvoir et l'espace public aux mains des hommes. Son refus de laisser le pouvoir aux classes dominés se retrouve dans la volonté politique de repousser les prostitués toujours plus en dehors des villes, loin de la sécurité, là où elles sont en danger, histoire de justifier les mesures prises "pour leur sécurité", et la confiscation de la parole se voit dans la manière qu'à la société de rabaisser les actrices porno et de les réduire à leur rôle de morceau de chair.

Au delà de ces sujets particulier, Virginie Despentes offre des réflexions plus générales sur la féminité, la vision contradictoire de la société sur le rôle des femmes, et elle propose en plus de cela des pistes de réflexions pour les hommes, la manières dont ils s'intègrent dans ce schéma et leur triste absence dans les luttes d'émancipation.

"De quelle autonomie les hommes ont-ils si peur qu'ils continuent de se taire, de ne rien inventer ? De ne produire aucun discours neuf, critique, inventif sur leur propre condition ?"

C'est vraiment un livre coup de poing, le style et le propos marquent, font réfléchir, notamment sur des sujets sensibles. C'est une vision sans concession qui peut provoquer des réactions un peu épidermique mais qui bouscule les idées, et qui à le mérite de proposer la parole d'une personne concernée et qui s'adresse à tous, femmes et hommes. Vraiment un incontournable !

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